Céphalées

Céphalées



"Toi qui mets dans les yeux et dans le cœur des filles
Le culte de la plaie et l'amour des guenilles,
O Satan, prends pitié de ma longue misère!"

Les litanies de Satan, Baudelaire



PREMIERE PERIODE


En ce moment, je passe toutes mes nuits sur Internet. Je rencontre plein de monde, enfin surtout des gens bizarres. C'est rigolo parce qu'en fait on n'en voit jamais des comme ça dans la vie. Ce qui est bien c'est que sur le net on ne se cache pas, on peut se montrer au grand jour, se dévoiler sans craindre le jugement des autres puisqu'on ne les connaît pas, on le ne les côtoie pas. Bon, c'est vrai, certains s'inventent une vie. C'est, d'une certaine façon, le moyen de réaliser ses rêves, de vivre par procuration. Mais moi je préfère l'honnêteté, étant donné que j'ai enfin l'occasion d'en faire preuve et que ce que je désire surtout est de pouvoir être moi-même. Dans la vie réelle, on est un peu obligé de porter des masques : si on est original, on n'est pas accepté. Que ce soit au niveau vestimentaire, aspect le plus évident, ou dans la manière de se comporter, de réagir à différents évènements, il faut rester dans la norme. Comme apparemment je n'y corresponds pas, là je profite, je n'ai pas peur de choquer. Puis c'est pratique de se dissimuler derrière un pseudonyme et l'écran de l'ordinateur.

Hier soir, je suis tombée sur un type qui s'appelait ptit curieux. Enfin c'est lui qui est venu me voir. Et il m'a posé énormément de questions, il n'arrêtait pas ! Sur le coup, j'avais l'impression qu'il était psychologue ou quelque chose du genre tellement ce qu'il me demandait me poussait à aller chercher les réponses au fond de moi. Je n'avais pas vraiment à réfléchir longtemps : chaque sujet trouvait écho en moi, comme si j'avais déjà pensé à ce genre de choses, sans m'en rendre compte. Je disais ce qui me passait par la tête, spontanément, et j'ai réussi à révéler un pan de ma personnalité qui m'a considérablement troublée. Il n'y a que maintenant que je me rends compte que tout portait sur le sexe. Mais bon, c'est un sujet quand même important. J'ai tendance à croire qu'il reflète l'essentiel de la nature d'une personne. Ses qualités, ses défauts, ses angoisses et ses névroses transparaissent au travers du plus ou moins bon déroulement d'un rapport. Enfin, ce n'est qu'une conviction personnelle.

Ce qui est bizarre, c'est que pendant notre conversation, petit à petit, j'étais en train de vraiment m'attacher à lui. C'était comme si le destin avait voulu nous réunir, pour qu'il me fasse évoluer, qu'il me révèle à moi-même. Pouvoir lui parler sans retenue me l'a rendu précieux. C'est bête parce que je ne le connais pas, il ne m'a rien dit sur lui. Quand je lui ai demandé les renseignements de base, il n'a rien répondu. Son ASV ("âge sexe ville") dit qu'il a 23 ans et qu'il habite à Nice. C'est déjà ça… J'espère le revoir et réussir à le faire parler. C'est vrai que j'aime bien que le sujet de discussion ce soit moi, mais j'ai quand même envie d'en savoir plus sur lui. De toute façon on a rendez-vous demain, je vais employer mon énergie à le faire raconter sa vie ! Il n'est pas question de le laisser rester dans le flou, je veux savoir à qui je m'adresse, avec qui j'explore ces profondeurs insoupçonnées de mon âme !

Pour être claire, en fait on a parlé de soumission. J'entends par là le fait d'obéir à un "maître", dans la majorité des aspects de la vie, surtout sur le plan sexuel. C'est drôle quand même parce que je n'aurais jamais pensé que ça pouvait me plaire. D'ailleurs, si j'essayais, je ne suis pas sûre que le plaisir serait garanti. C'est vrai, rien que d'envisager d'être attachée ou autres pratiques du genre, ça me fait des trucs bizarres dans le ventre. Bon d'accord, je le dis : ça m'excite. De toute façon le sexe c'est fait pour s'amuser, non ? Mais je me demande… Est-ce que j'ai un penchant naturel pour la violence, la perversion ? C'est ce qui semble émerger de nos échanges. Mais je ne sais pas si ses suggestions correspondent vraiment à mes envies ou s'il ne les a pas un petit peu parasitées… Je le lui demanderai.


On s'est revu ! On a passé la soirée à discuter encore une fois. Je ne sais pas grand chose de plus sur lui, mais j'ai appris plein de trucs sur moi ! Notamment que je suis un cœur d'artichaut : il me manque tout le temps. J'ai envie de ses questions, de parler à quelqu'un qui m'écoute en étant à ce point intéressé qu'il me demande même des détails. J'aimerais qu'on puisse se voir sur le chat le plus longtemps possible, mais il doit se lever tôt le matin alors il ne reste pas toujours très tard. C'est dommage parce que j'adore nos conversations ! Au moins, il existe quelqu'un qui ne s'ennuie pas quand je lui raconte ma vie. Et Dieu sait que je suis bavarde !

Il voulait savoir quel était mon plus important fantasme. Alors je lui ai raconté mon délire sur Satan. Je ne crois pas en son existence, même si j'aimerais y parvenir. J'ai l'impression que la religion (quelle qu'elle soit) me simplifierait considérablement les choses, en me livrant un chemin tout tracé, un code de conduite prédéfini. Mais je suis un peu trop terre-à-terre pour ça. J'en reviens à mon petit conte. Je rêve que "le Prince des Ténèbres" est mon ami, mon amant (et quel amant !) , mon amoureux… Mon maître aussi, peut-être. On pourrait me demander : pourquoi pas Dieu ? Ce serait moins romantique. Evidemment, tout cela n'a rien à voir avec la vision du diable dans la Bible. J'ai même réfléchi aux aspects théologiques qui pourrait le rendre conforme à mes désirs, en résolvant à ma façon les questions de Bien et de Mal. Bien sûr, je ne suis même pas d'accord avec ce que je dis puisque je ne suis pas croyante…

Et donc, je m'imagine toute une jolie histoire pour m'évader, m'aider à supporter les petits désagréments de la vie, me donner une motivation en quelque sorte. Ptit curieux trouve ces élucubrations très intéressantes. Je les trouve un peu débiles, mais il pense qu'elles peuvent signifier énormément. Honnêtement, je ne vois pas trop quoi. Je penche plutôt pour considérer ce fantasme comme une simple manifestation de la crise d'adolescence d'une "teen-ager" en pleine rébellion. Mais, étant donné que d'après ses dires je suis exceptionnelle, peut-être a-t-il raison !

Il me fait bien rire quand même, à toujours me prendre pour meilleure que je ne suis… Tout bêtement, je voudrais avoir du pouvoir sur les autres, établir les règles. C'est vrai que c'est tout le contraire de ce que ptit curieux envisage pour moi : il veut me dominer. Je ne pense pas qu'il se passera quoi que ce soit, ça ne serait pas raisonnable. Mais il a le droit de rêver, et moi avec, d'ailleurs ! Il veut me posséder. Me rendre dépendante. D'un côté, je le suis déjà. Parce que nos discussions me font avancer. Lui veut plus. Pourquoi pas ? Par contre je ne sais pas du tout à quoi il ressemble. Il faudra qu'on se rencontre avant de pouvoir décider de quoi que ce soit. Quoi qu'on en dise pour faire bien, l'aspect physique importe beaucoup !

Sur Internet, comme je dis, c'est l'osmose des âmes ! Mais le réel peut tout casser. Sans le vouloir, on visualise son interlocuteur, on lui prête des traits avantageux qu'on croit correspondants à sa façon d'être, et quand vient la rencontre, on a un choc. En général, c'est toujours décevant par rapport à ce que l'on avait imaginé. C'est bien beau de s'attacher à l'esprit, mais il faut se rappeler qu'autour il y a un corps ! Par exemple, moi je pense que je suis jolie, mais plaire à tout le monde, c'est un peu une utopie… Néanmoins, je crois avoir compris l'essentiel : il faut s'aimer pour être apprécié d'autrui. Et c'est vrai, je m'aime, en tout cas physiquement parlant. D'ailleurs, concernant ses désirs un peu spéciaux, je ne voudrais pas que mon corps soit abîmé. Il me propose des jeux assez violents, mais je n'accepterais qu'en ayant la garantie d'absence de dégâts. Cette phrase est peut-être légèrement prétentieuse, mais je ne suis pas sûre d'être masochiste !


Il dit que j'ai un vrai potentiel de soumise. ça me fait rigoler. Rien que l'expression, je la trouve drôle. Folklorique, plutôt. Que ce soit employé dans la littérature érotique, pourquoi pas. Ptit curieux m'avait demandé de lire "Histoire d'O". J'avoue avoir failli ne pas le faire. C'est une jolie déclaration d'amour, mais pour le reste… Qui pourrait adhérer à ce qu'il y a dans la préface ? "Le bonheur dans l'esclavage"… Ces aberrations qu'a écrites Jean Paulhan ! Cette façon de considérer les femmes, c'est très dégradant. Dire que nous sommes faites pour la chair et rien d'autre, à part pour s'occuper des tâches ménagères, non pas de façon exceptionnelle d'ailleurs parce que nous n'en serions pas capables, mais seulement correctement ; que nous devons reconnaître notre infériorité si visible à la race masculine, etc., c'est une accumulation de clichés aberrants et démodés.

J'espère que tout ce ramassis d'idioties ne correspond pas à sa façon de penser. Etre humilié parce qu'on l'a voulu, ce n'est pas naturel. On se revoit ce soir, je lui dirai tout ça.

Je lui ai fait un coup rigolo, tout à l'heure ! D'habitude, sur le net, j'écris tout en abrégé. Et là, je me suis mise à écrire les phrases en toutes lettres. En plus, j'ai joué à la fille dominatrice, pour lui renvoyer la balle. J'ai joué au même jeu que lui : faire remonter des parties de sa personnalité, pour le déstabiliser, l'acculer dans une attitude de défense pour le rendre vulnérable, répondre à son étonnement par du cynisme et le considérer avec froideur… Non pas que ce soit ce qu'il me fait d'habitude, il ne m'attaque pas, mais je voulais bouleverser ses certitudes. Il a mis du temps à se convaincre que c'était toujours moi ! Au début, il croyait vraiment que quelqu'un d'autre parlait à ma place. Plusieurs fois il a posé la question "qui êtes-vous ?" (il m'a vouvoyée !), il a dû se sentir en position inférieure. Au moins, je lui ai montré que je ne suis pas faible. C'était vraiment jubilatoire ! La parfaite soumise, moi ? Je ne pense pas qu'il en soit toujours aussi sûr ! En tout cas, ça m'a fait du bien: petit regain d'assurance et d'estime de soi. Je le lui avais déjà dit : j'ai du caractère. J'espère qu'il en est enfin persuadé.

En ce moment, il m'énerve un peu. Il me fait faire des trucs bizarres, comme parler avec des personnes qui me déplaisent, en leur livrant tout de moi ; il veut me donner des ordres, que je l'appelle "Maître" et que je lui passe tous ses caprices. Comme si je lui appartenais. Comme si je devais passer au-dessus de moi pour satisfaire chacun de ses désirs, oublier mes réticences et ma morale, jusqu'à m'oublier moi-même. Et d'un autre côté, il semble vraiment préoccupé par ce que je peux penser. Il veut savoir ce que je ressens quand il me parle, il me demande comment je vais, comment se passe ma vie, comme si ça lui importait. Il a l'air tellement sincère ! Je trouve ça un peu paradoxal, ces deux façons qu'il a de se comporter avec moi. Entre celui qui commande et celui qui veut comprendre, je ne sais pas à quoi me fier. Comment lui faire confiance ?

Il commence à aller un peu loin dans ses fantasmes. Il monte des histoires pas possibles, avec force détails croustillants. Il envisage déjà notre rencontre, la façon dont elle doit se passer, et chaque scénario qu'il propose est assez extrême. J'ai un peu de mal à le suivre. Je ne dis pas que ça ne me plait pas. D'ailleurs, à chaque fois, j'ai des frissons dans le bas du dos, très agréables ! Et aussi des sensations bizarres dans le ventre… Et pourtant, en même temps, mon esprit condamne. Des fois, ma tête a une réaction, et mon corps une tout autre. La traditionnelle opposition morale/pulsions… C'est vrai que j'ai toujours tendance à me braquer devant certains de ses désirs. Je n'ai pas l'habitude.

Il m'a demandé de lui écrire une lettre pour décrire ma dépendance. Parce que je la lui ai avouée… Voilà ce que ça donnait : "Premièrement, je suis dépendante de l'approfondissement de moi-même que tu me permets d'effectuer. Deuxièmement, je crois être dépendante de l'idée que quelqu'un décide à ma place, que je n'ai plus à me préoccuper de prendre des décisions. Et troisièmement, peut-être suis-je dépendante de l'image du père que tu incarnes." Sec, mathématique. Avec une jolie analyse simpliste de mon complexe d'Œdipe. Evidemment ça ne lui a pas plu. En fait cela aurait été plus juste d'avouer que je pourrais tomber amoureuse… Je ne savais pas trop quoi lui dire. Tout ça c'est du domaine du ressenti, c'est difficile à exprimer clairement. Puis je trouve ça trop sérieux. Je veux juste m'amuser. Lui va trop vite pour moi, c'est un peu énervant.


De temps en temps, il me fait peur… Heureusement qu'on ne se connaît pas dans la vie réelle ! Même s'il habite beaucoup plus près de chez moi qu'il n'avait bien voulu le dire au début… Encore un menteur ! En fait il habite Perpignan (à une dizaine de kilomètres de mon village) et il a 20 ans de plus (43 ans, plus vieux que mon père !) Vraiment désespérants, ces mecs qui ne sont pas capables d'assumer leur âge et d'être honnêtes… On est assez bien caché comme ça derrière l'ordinateur ! Comment savoir alors avec certitude à qui l'on a affaire ? Comment faire confiance ? Qu'il se soit abaissé à m'aborder en usant de subterfuges me déçoit de sa part. Et puis maintenant je n'ai aucune garantie de sécurité.

Il a trouvé mon numéro de téléphone. Je ne sais pas comment. Il a dû pirater mon compte e-mail et trouver mon nom. En tout cas, quand il a appelé, j'ai eu une sacrée surprise ! Assez désagréable, d'ailleurs… Mais je n'étais pas en état de réagir, je n'ai rien dit. Je venais à peine de me lever, je n'avais pas encore émergé totalement du sommeil. Quand je me suis enfin réveillée, je me suis rendu compte de ce que cela représentait. Car s’il avait le numéro, l’adresse ne devait pas être un problème… Et j’ai eu confirmation : comme nous ne sommes pas sur liste rouge, il se l'est procurée facilement. Il m’a raconté avoir squatté toute une après-midi dans le bar en face de chez moi pour essayer de m’apercevoir ! En plus de ça, un jour où je n'étais pas là, ma mère lui a donné le numéro de portable de ma tante, chez qui je passais des vacances. Et je ne sais comment, à partir de là, il a trouvé le numéro de son appartement… Encore une surprise.

Je me dis que je devrais réagir. Mais d’un autre côté je ne ressens pas vraiment de danger… C’est bizarre d’être comme ça. J’en suis presque à me culpabiliser : je sais qu'il faudrait que je me fâche, pour me protéger, et me respecter, et pourtant je suis énervée deux secondes et puis ça passe. Comme si ce qu’il faisait était normal, parfaitement normal. Des fois je m’étonne quand même. Je crois que finalement j’ai confiance en lui, il ne m'a pas déçu assez souvent, visiblement. Ptit curieux. Avec ce pseudo il annonce la couleur. Il peut trouver alors il cherche. C’est profondément logique ! Puis il m’a donné sa vraie adresse… Lui est sur liste rouge, je ne peux pas découvrir son nom, mais s’il m’arrive quelque chose, plusieurs copains pourront la donner à la police. Bon, je ne pense pas courir un grand risque, mais on ne sait jamais !

Bref, de cette manière, nos discussions ont un peu changé, puisqu'un élément a été rajouté: la voix. Jusqu’à présent nous ne restons jamais longtemps au téléphone parce que je n’ai jamais le temps. Mais je pense que bientôt on pourra parler tranquillement : je vais retourner m’isoler chez ma tante. Il veut qu’on se voie, qu’on se rencontre. ça me plairait mais en même temps j’ai un peu peur. Il parle de plus en plus souvent de la manière dont il veut que ça se passe. Quelles histoires ! Enfin… C’est rigolo d’envisager la vie comme un roman !



DEUXIEME PERIODE


De : ptit.curieux
A : lili mademoiselle
Sujet : Petite mise au point
Date : 06/07/2002

Tout d'abord, je te demande de ne pas me faire perdre mon temps. Quand tu décides d'aller sur le net, je t'ai déjà demandé de prendre vraiment conscience de ce que tu fais, de donner du poids à cet acte. Je veux que tu ressentes dans le bas-ventre ce qui pourrait se passer, ce que tu pourrais être amenée à dire, à faire... Je parle de ces envies que tu as alors, et même de tes craintes. Pas de pirouette, encore une fois ! J'attends de toi que tu sois passive, j'aime infiniment, comme tu sais l'être quand on te demande de faire quelque chose... Prends le temps, avant et au moment où tu te connectes, d'être cette jeune fille docile, disponible, absolument disponible.

Et tu ne m'as vraiment pas compris, ou fais semblant de ne pas avoir compris, quand tu dis que je ne veux qu'une seule chose de toi. Connaissant nos pulsions si particulières, je veux vivre certaines situations avec toi, puisque nous nous correspondons vraiment. Nous sommes de moins en moins inconnus l'un à l'autre et chaque trait de caractère que je découvre chez toi me plaît énormément. Lili je te veux tout entière, je veux que tu te laisses aller et que tu aies confiance, aussi bien en toi qu'en moi. Si tu n'es pas convaincue, cessons cette relation. Arrête ton cynisme et accepte-toi, je ne t'attendrai pas.


De : ptit.curieux
A : lili mademoiselle
Sujet : Ma petite puce, ma petite pute…
Date : 12/07/2002

Lili, délicieuse petite peste, n'abuse pas de ma patience... Je n'apprécie pas devoir répéter ce que j'ai déjà dit. Pourquoi ai-je encore à te préciser certaines choses ? Mmm, je sais que tu aimes te faire gronder...

Je ne suis pas là pour te convaincre de ce que tu es. J'attends de toi que tu respectes ce que signifient être docile, disponible, être ma petite pute. Tu sais pourquoi je me permets d'utiliser ces expressions, n'est ce pas ? Ces mots claquent comme une gifle ? Très bien.

Quand je te téléphone, j'aime cette personne vraie que tu deviens. Tu parles peu, mais ce peu est profondément ressenti. J'attends de toi que nos conversations sur le net soient de ce niveau.

Trop exigeant ? Non ! Exigeant ? Oui...

Je le dis rarement, mais je sais, je sens que tu peux terriblement apprécier certaines situations que je te réserve... Je ne conçois pas de les vivre avec d'autres personnes. Non pas que ce soit un privilège que je t'accorde, mais tout simplement ta sensibilité à ce genre de choses est flagrante. Ce que je veux c'est jouer avec tes limites, les explorer, te faire découvrir d'autres sensations, et par-dessus tout, te faire comprendre que tu peux vivre cela sans connotation négative. C'est comme marcher sur le fil du rasoir, c'est vrai, mais avec quelques précautions tu ne te coupes pas...

As-tu déjà vécu cette complicité qui te permette de te concentrer sur ton plaisir sans penser à cette morale, sans craindre le regard de l'autre, sans être retenue parce que cet autre te paraît trop "gentil" ou n'ose pas ? J’ai le sentiment que cette complicité existe entre nous. N’as-tu pas apprécié certains de mes appels ? J'ai encore dans l'oreille ta respiration, ou plutôt l'accélération de ta respiration à l'évocation de certaines choses...
J'aime quand tu m’avoues que dans certaines situations tu ne sais pas, tu n'oses plus agir, que tu deviens cette jeune fille si sage... J'aime infiniment l'idée de te savoir sans défense. Tu te doutes que je saurais quoi faire pour te faire fondre à ces moments-là.

Surprend moi, maintenant, Lili... Déjà par ta réponse à ce que provoque cette lecture, et par ton acceptation sans condition à ce que je te propose. Abandonne-toi à moi, Lili.


De : ptit.curieux
A : lili mademoiselle
Sujet : Dommage, dommage...
Date : 17/07/2002

C'est bien, tu as bien appris ta leçon concernant les fantasmes, les pulsions, comment les ranger bien sagement à leur place théorique... Cela fonctionne pour 99 % de la population. Nous faisons partie, que tu l'acceptes ou pas, des 1 % restants... Tu dois apprendre à vivre avec.

Apparemment depuis pas mal de temps, tu es particulière et tu veux comprimer cela, le faire taire. Ferme hermétiquement une casserole d'eau que tu as mise à bouillir et regarde le résultat. Tu vas t'apercevoir que lorsque tu es rationnelle dans une relation, cela fonctionne un certain temps, mais que tu le veuilles ou non, tes pulsions reviendront à la surface. Et si tu n'es pas dans un environnement où tu peux les vivre, tu ressentiras une très forte frustration. De toute façon, elles s'exprimeront. Quelle attitude choisir alors ?

J'ai vraiment l'impression de ne pas avoir réussi à me faire comprendre quand j'entends certaines de tes craintes, à d'autres moments j'ai le sentiment qu'en fait tu t'en fiches complètement...

Puis j'apprécierais que tu me donnes des nouvelles. Je sais, ça peut paraître idiot, mais je m'imagine toutes sortes de choses qui auraient pu t'arriver ; de te savoir seule en ville et d'avoir l'impression que tu as disparu me fait très peur.

Cela te fait sourire que j'aie ce genre d'inquiétudes ?
Cela t'arrivera aussi un jour. C'est comme une sensation de basculement.


De : ptit.curieux
A : lili mademoiselle
Sujet : Cesse de m'empêcher de me concentrer !
Date : 22/07/2002

Bonjour, ma délicieuse petite peste... Penser à toi s'impose à moi. Te savoir troublée, prête à t'abandonner me provoque terriblement... Quand tu es seule avec cet ami dont tu m'as parlé, ne te bride pas, laisse tes sensations t'envahir. Je veux croire que dans ces moments là tu ne pourras t'empêcher d'entendre une petite voix qui te poussera à oser, à accepter, à être cette autre femme sans regret, sans retenue aucune...

J'imagine ta confusion lorsque des doigts te fouillent si intimement, et que tu t'abandonnes, que tu te sens t'offrir même si tu ne l'extériorises pas... Tu sais que suivant la situation ton corps va répondre à ces sensations et s'ouvrir un peu plus à chaque fois... C'est dans ces moments-là que j'attends de toi que tu sois ma petite pute, Lili. Sois-le pour le plaisir de ces queues dressées sur lesquelles tu t'empales avec délice. Jouis, ma puce, de la vie, de chaque regard, de chaque caresse, simplement mais profondément. Prends, reçois tout ce que chacun est prêt à te donner, sans lui demander tout ce que tu souhaiterais avoir. Sois ma petite pute avec qui sait te rendre pute et profite de tes sensations. Sois jeune fille avec celui qui te fait te sentir jeune fille et profite de tes sensations... Fais-le parce que c'est moi qui te demande d'être ainsi disponible, absolument disponible. J'espère que ces quelques suggestions te mettront dans un état propice à oser un peu plus... Je viendrai à toi quand tu te seras comportée comme il faut.

Ah… Lili, ma petite pute préférée... J'aime la façon dont ce mot me provoque quand je l'écris. D'autant plus que j'ai devant moi la photo que tu m'as envoyée, celle où tu avais douze ans. Quel trouble elle provoque ! Vraiment très perturbant de te regarder ainsi... Dès que l'on passe la première phase de découverte de cette photo, on découvre une sensualité à fleur de peau, j'oserais même dire une sensualité animale. Je sais, facile à dire avec tout ce que je sais sur toi.

Au risque de te choquer, tu donnes très envie de se faire sucer par toi, Lili. Je ressens même déjà la chaleur de ta bouche, le contact avec tes cheveux. J'imagine te tenir la tête de chaque côté, la faire aller et venir, et surtout te caresser les cheveux lentement... Je les sens sous les doigts en ce moment... Petite peste !

Lili je veux t'avoir, te prendre comme la petite pute que tu reconnais être. Imagine, ressens l'instant où je glisserai mes doigts entre tes cuisses, ma petite puce... Imagine la violence de ce simple acte et ce qu'il provoquera en toi, même si je suis très délicat. Tu sais quelle partie de toi devrait se réveiller, n'est ce pas ? Combien as-tu déjà laissé de mecs te fouiller de cette manière ? Pense à moi à chaque fois que cela t'arrivera, et laisse-toi guider par ma voix. Je suis curieux de savoir ce que tu as vécu ces derniers jours…


De : ptit.curieux
A : lili mademoiselle
Sujet : Lili, offre-toi, livre-toi
Date : 26/07/2002

Oui, je suis pervers, extrêmement pervers. C'est ma nature première, profonde... J'aime que cela te plaise et pressens que cela te rend d'autant plus dépendante. Et ce n'est que le début.

Il ne doit pas exister entre nous de situations moyennes. Je veux tout de toi. Je suis arrivé au moment où tu pouvais admettre ce qui se trouve en toi certainement depuis quelques années, où tu pouvais surtout l'admettre avec l'envie vraie de le vivre. Le moment que j'attends est celui où après avoir osé, tu ne pourras plus nier tes fantasmes, tu auras seulement envie de recommencer. Ce que tu as laissé trop souvent à l'arrière plan s'imposera définitivement à toi et fera parti de ton quotidien. Et là est le meilleur, ma puce : avoir ces désirs si spéciaux et pouvoir de temps en temps les réaliser pleinement.

J'aimerais savoir que, par moments, te souvenir de moi, de nos conversations, te rend faible, te met dans un état fragile, te donne une envie terrible d'être "pleine" (comme j'aime cette expression !) et donc te rend disponible pour ceux qui t'entourent…

Lili, je te veux pute, je te veux MA petite pute, je veux que tu te glisses dans cette attitude avec abandon... Sois ce que tu es, ce que tu as toujours été. Fais de l'instant où tu cèdes, où tu sais que tu vas t'offrir, un instant de jouissance. Redeviens alors ce que j’attends de toi, sans retenue aucune. Oui Lili, tu dois assumer...

Et non, cela ne veut pas dire n'être que ça. Cela veut dire sois-toi, avec toutes tes facettes. Nous sommes en train de construire quelque chose de rare. Mais quand tu te permets d’insinuer que je me fiche que tu n'ailles pas bien, c'est vraiment mal me connaître. Sache que je suis là pour toi, pour ces moments de déprime. Il faut que tu m’en parles. Ouvre-toi à moi !

Non, je ne me suis pas "libéré" de cette tension ce matin. J'ai préféré porter cette érection, comme si je te portais, tu m'accompagnais...

Je t'embrasse, ma Lili.


De: ptit.curieux
A: lili mademoiselle
Sujet: Ma petite peste...
Date: 09/08/2002

Bonjour ma puce, ma petite pute... Avais-tu oublié cette manière d'être interpellée ? As-tu conscience que maintenant le décompte avant notre rencontre a commencé ? Plus que quelques jours avant que tu sois à ma portée... Tu as compris que le temps des discussions est passé ; vivre ce qui nous attire mutuellement seul compte maintenant. Passe ce cap, ose te livrer. Imagine que tu dois être "déflorée" une seconde fois. J'oserais dire la vraie, cette fois, celle qui te fera devenir vraiment femme, capable de vivre toutes ces sexualités...

Je t'inquiète ? Je devrais, normalement, je le reconnais... Mais je pense que tu sais faire la part des choses. Si nous nous étions connus par le fait d'amis communs, par exemple, jamais, je pense, nous ne serions allés aussi loin dans nos délires. Le hasard en a décidé autrement… Il y a un monde que tu ne connais pas encore, tu n'as qu'une idée très approximative de ce que l'on peut ressentir à l'explorer.

J'ai relu tes derniers messages. Je le fais rarement, mais je te présente toutes mes excuses, ma puce. Je dois reconnaître que je suis d'un naturel sceptique en ce qui concerne la nature humaine, et tous ces aveux de ta part m'ont surpris. Que je te manque, que je te fasse du bien (d'une manière classique), mais aussi que je te trouble, te provoque... Oui, je reste sceptique. N'oublie pas que certains jours tu tournes tout en dérision. Peu de choses trouvent grâce à tes yeux. Tu es très dure sur certains sujets. Si je te montre que tu me touches et qu'après tu me renvois cette sorte d'indifférence... Pourquoi serais-je épargné ? C'est vrai aussi que ce mélange de dureté et de sensibilité est très troublant.

Quant à notre avenir… J'attends de toi que tu te mettes dans cet état de passivité, de docilité, de soumission puisque toi-même utilises ce terme. Cela ne veut pas dire que ce que je te réserve va être cet extrême que tu sembles craindre. Non, ce que je veux de toi c'est que tu fasses sortir cette jeune fille passive ou cette autre femme si disponible, que j'imagine déjà faire fondre, faire abandonner ce contrôle… Et tu sais que je peux le faire, que je sais trouver les mots, créer ces instants, même si tu rechignes au départ à cet abandon. C’est ce que je veux te faire vivre, mais cette fois beaucoup plus proche de toi qu’au téléphone...

Tu veux me faire croire que nos petites discussions depuis quelques semaines te permettent maintenant d'être indépendante... J'aime tes tentatives pour fuir notre rencontre... Mais tu ne m'échapperas pas ma puce... Pas tant que je n'aurai pas senti ton corps réagir à mes caresses…



TROISIEME PERIODE

Et j'ai craqué… Au téléphone, il arrivait à me rendre faible. Je ne pouvais plus parler. Je ne réfléchissais plus. Je ressentais. Il me racontait notre future rencontre, ce que nous allions vivre ensemble. Et j'aimais ça. Je l'écoutais, et je me laissais aller dans ces rêves, envahie par une foule de sensations, submergée par une chaleur intense. Sa voix me faisait vivre. Il m'emmenait découvrir un monde inédit, peuplé de fantasmes et d'une multiplicité d'hommes. Il décrivait mon futur comme une bacchanale continuelle, une suite d'orgies pendant lesquelles on croquerait la vie à pleines dents, pour savourer ce qu'elle nous offre de meilleur. Profiter de chaque seconde, chaque instant pour jouir, noyés dans une multitude de corps ; mêler la violence de l'odeur musquée de l'épuisement à la douceur de la chair ; s'immerger dans la douleur, le plaisir, la passion ; telle était son interprétation lyrique du Carpe Diem. Et mon excitation allait grandissant avec la frustration de ne pas vivre ces choses réellement. Je n'avais qu'un mot à la bouche : oui. Oui à tout ce qu'il me proposait. Oui à tout ce qu'il m'ordonnait. Et finalement… Oui à lui dans ma vie.

Ca s'est réglé par téléphone, évidemment. Sinon j'aurais mis beaucoup plus de temps à accepter. En tout cas, c'est ce que j'aime à penser. Il a décidé, il a disposé. L'heure, l'endroit, ce que je devais porter, faire, dire… Cela va de soi qu'il a tout organisé. D'abord, j'avais hésité. Quand il avait raccroché, je m'étais dit: "Lili, tu es stupide, c'est dangereux." Ma tête me commandait de le rappeler ou de lui écrire pour me rétracter, pour lui donner la seule réponse sensée : non. Pourtant, en même temps, j'avais terriblement envie de faire ce pas, de concrétiser notre relation. Je voulais voir se réaliser nos projets, ou plutôt ses délires… Depuis, j'ai pu me rendre compte à quel point il est regrettable de céder à ce que dictent les désirs, surtout quand ils sont en contradiction avec l'esprit. Ma morale fonctionnait toujours, mais sa censure n'était plus vraiment efficace. En quelque sorte, ayant été trop motivé, mon corps se rebellait contre ce frein à ce qu'il prenait pour son épanouissement. Avec ptit curieux je n'avais pas la force de me respecter.

Alors j'ai accepté. J'ai fait taire ma raison. Bien sûr il m'a aidée pour cela ! Il savait quoi dire et comment le dire pour briser les barrages, pour me mettre dans un état de faiblesse. Il a introduit le scénario, support à une nouvelle conversation téléphonique, et l'a transformé en projet. On a donc appliqué sa mise en scène. Il m'avait donné rendez-vous dans un parc, à côté de l'hôtel de police. "Pour te rassurer", m'avait-il dit. J'ai mis une robe ample, sans sous-vêtement, et j'y suis allée. Sans informer qui que ce soit. S'il m'arrivait quelque chose, personne n'était au courant. Il est étrange de réaliser à quel point on peut s'oublier, quand on est influencé par quelqu'un comme lui. Enfin bref. Il faisait nuit, et j'avais vaguement entendu dire que le lieu en question était investi par une faune très peu engageante... Donc j'étais assez effrayée. Cela seul aurait dû me faire fuir ! Mais non… J'étais venue, je restais, je confirmais ainsi définitivement mon acceptation orale.

Il m'avait parlé d'un endroit très précis du parc, une petite étendue de pelouse à l'abri des regards. Arrivée là-bas, après quelques minutes de recherche, toute frissonnante de peur, j'ai noué un bandeau sur mes yeux, comme il me l'avait demandé. Je me suis allongée, toujours conformément à ses instructions. Puis je l'ai attendu. Il n'a pas été long à me rejoindre. Je le soupçonne même d'avoir été là avant moi et de m'avoir regardé faire. D'ailleurs, j'espérais que cela avait été le cas. J'avais imaginé sentir son regard sur moi explorer mes courbes, désirer ma peau, et traduire chacun de mes frémissements. Je voulais qu'il se rende compte de mon appréhension, de ma frayeur, et du fait que tout cela m'électrisait.

Je ne crois pas l'avoir entendu arriver. Il s'est assis à côté de moi, et m'a caressée lentement, doucement, patiemment, comme pour m'apprivoiser. Mais ça n'a pas apaisé mon inquiétude, je suis restée pétrifiée, pétrifiée et muette. Cela convenait d'ailleurs très bien à son scénario. Il laissait courir ses doigts sur mes épaules, mes bras, en guettant mes réactions. C'est comme ça qu'il m'a déshabillée, avec ce que j'ai pris pour de la tendresse. Malgré tout, mon corps n'était pas particulièrement près pour l'accueillir, ce qui ne l'a pas empêché de me pénétrer. Alors les va-et-vient ont commencé. Au début, cela a été un peu douloureux, puis c'est devenu juste irritant. Je sentais cette présence étrangère, je visualisais. J'ai failli en vomir. Cette chair dans la mienne, insistante… Des spasmes de nausée m'ont secouée, et les larmes ont suivi.

Après ce qui m'a semblé une éternité, il a joui et s'est retiré. Il m'a embrassée, et m'a sorti son discours de mâle fier et puissant : que je devais avoir aimé ça, qu'il était sûr que j'en voulais plus mais qu'il ne fallait pas trop donner au début, qu'il avait adoré mais qu'on devait se retenir, qu'il savait que je voulais qu'on se revoie et qu'il allait m'envoyer un message pour fixer le prochain rendez-vous, "ma puce"… Puis il est parti.


Je ne sais pas pourquoi ce n'est pas un souvenir douloureux. Pourtant il m'a marquée, je me souviens de chaque détail, de chaque geste, de chaque phrase qu'il a prononcée avant de partir. Je me rappelle chacune de mes sensations, je les éprouve en y repensant, mais elles ont perdu de leur violence. Parce qu'alors j'avais trouvé toute une quantité de raisons pour légitimer sa manière d'agir et la brièveté de notre premier rendez-vous. Quelle idiote j'ai pu être ! Pour le manque de romantisme, je me disais que c'était de cette façon qu'il fallait traiter une soumise. Pour la qualité de l'acte qui laissait à désirer, je me reprochais de n'avoir pas été assez préparée pour l'apprécier. Mais pour m'avoir laissée seule en pleine nuit dans un endroit dangereux, j'avoue avoir peiné à trouver une explication. Je pensais cependant qu'elle devait bien exister : peut-être ne m'étais-je pas bien conduite, pas assez investie à son goût, ainsi cela devait-il être une punition que je méritais… Je l'ai excusé de tout, et j'ai espéré qu'il me recontacte.

En définitive, tout s'est passé trop vite, depuis notre rencontre sur Internet jusqu'à aujourd'hui. Dans les premiers temps, quand nous ne faisions encore que parler en anonymes sur le dialogue en direct, j'avais l'impression qu'il s'amusait à me dire des vérités, puis qu'il m'enfonçait la tête sous l'eau en la maintenant jusqu'à ce que j'acquiesce, sous peine de finir noyée. J'avais le sentiment de m'aliéner. Je me sentais forcée à admettre toutes ces choses répugnantes, mais une fois que j'y arrivais, tout paraissait évident. J'avais du mal à accepter ce qu'il affirmait comme faisant partie de moi. J'ai fini par le croire. Je me suis laissé faire. Oh, il a profité, c'est tout ce qu'il voulait. Il a pris possession de moi mentalement, il a réussi à me faire obéir, à ce que je pense exactement comme lui. Puis il m'a possédée physiquement une fois. Il a marqué l'essai et il l'a transformé. Finalement, il m'a offerte.

Un jour, il m'avait écrit : "Ma petite puce... Cette matinée est terrible ! Je suis d'humeur à te chercher dans toute la ville, à te trouver et te plaquer contre un mur. Il est fort probable que je ne vienne pas seul d'ailleurs. Tu te souviens ? Quelqu'un derrière toi, nous nous embrassons et je peux deviner chacun de ses gestes. Je peux sentir par tes baisers, par ta respiration ton trouble, ton abandon au plaisir de te laisser faire par cet inconnu... Tu me maudis ? J'aime…"

Je l'avais autorisé à organiser mon "viol". Oui, je sais, c'était pire que bête. On peut dire que j'ai fait fort, cette fois-là… Pour ne pas changer, c'était au téléphone que j'avais accepté, évidemment. Tout s'était déroulé pareillement à nos conversations précédentes : ce n'était qu'un fantasme parmi d'autres, un fantasme qui m'a plu parce que je n'aurais jamais imaginé qu'un jour il puisse se réaliser. Mais ptit curieux n'avait apparemment pas la même vision des choses que moi… Toujours est-il que sur le moment je ne le savais pas, et comme d'habitude je n'ai pas pu refuser. Il ne l'a pas oublié.

Aussi un soir, peu de temps après sa magnifique performance, je me suis faite agresser dans la rue, alors que je rentrais chez ma cousine. L'homme était arrivé face à moi sur le trottoir. Je l'ai vu me regarder, hésiter, regarder ailleurs. Etant donné l'heure tardive, je me suis légèrement inquiétée, tout en essayant de me convaincre que je ne risquais rien. On pense toujours que cela n'arrive qu'aux autres… Alors j'ai continué mon chemin. Et soudain il m'a attrapée, m'a plaqué une main sur la bouche et m'a serrée contre lui. Je n'ai pas lutté. J'étais pétrifiée. Mon esprit refusait d'admettre que j'étais en danger. L'homme est resté immobile quelques secondes, comme s'il était aussi choqué que moi, quelques secondes qui me permirent de me rendre compte de l'horreur de la situation.

J'ai esquissé un mouvement pour le repousser, l'étreinte s'est resserrée, et tout s'est enchaîné très vite. Il m'a poussée contre un mur, ses mains d'abord indécises se sont frayé un passage entre mes cuisses, puis ont arraché ma jupe. Il m'a écrasée contre le sol, et sans raison apparente m'a bandé les yeux. Il est resté sur moi, je l'ai senti s'exciter, mais il n'a rien fait que m'empêcher de bouger jusqu'à ce qu'une main étrangère se pose sur ma joue et m'effleure du bout des doigts. Alors j'ai entendu une personne que je connaissais bien susurrer: "Alors ma puce, contente que ça arrive enfin ?" Ptit curieux. Il a immobilisé ma tête et m'a embrassée. Complètement hébétée, je n'ai pas réalisé que l'autre homme ne me maintenait plus. Quand il m'a prise, quand il m'a envahie, j'ai hurlé, et ce pervers que je déteste a bu mes cris comme un nectar, avec une espèce de dévotion malsaine.


Je ne me rappelle de rien entre le moment où ça s'est arrêté et celui où je suis arrivée à l'appartement de ma cousine. J'ai passé la nuit éveillée, sans bouger, revivant la scène en boucle. Même si je les fermais, le tableau se dessinait devant mes yeux, comme si à ce moment-là j'avais pu tout voir. Je n'en ai parlé à personne. J'étais confusément honteuse. C'était de ma faute, j'avais accepté, et d'ailleurs, si l'on regardait ce qui s'était passé, je ne m'étais quasiment pas débattue, je l'avais même laissé m'embrasser… Et puis finalement il avait été plutôt gentil… Mais je me sentais sale, dégoûtante d'une résignation que je ne pouvais imputer qu'à moi-même.

J'ai réussi à oublier. J'ai enfoui ce souvenir du mieux que j'ai pu, pour ne pas en garder l'empreinte cuisante, pour ne pas me voir telle que j'étais : une lâche sans volonté, un pantin manipulable avec tant de facilité… Comme je n'en voulais qu'à moi-même, nous nous sommes revus. Ce qui est un bien grand mot du reste puisque, premièrement, je ne l'ai jamais vraiment vu (avec un bandeau ç'aurait été plutôt difficile), et deuxièmement, durant nos rencontres suivantes, d'autres que lui se sont occupés de moi. Sous ses yeux et chez lui, certes, mais je ne pouvais savoir s'il était là que s'il parlait.

Il ne m'a plus préparé de surprise du genre. Pour nos rendez-vous depuis, il me prévient quelques jours à l'avance. Je dois aller chez lui, pour plus de confort, et je dois nouer un foulard bien opaque sur mes yeux, frapper à sa porte et attendre qu'on me fasse entrer. Le plus souvent, quelqu'un d'autre que lui s'en charge. On me conduit alors dans sa chambre ou dans le salon, selon le nombre de personnes présentes. Quand j'arrive, ils sont en général encore en train de manger et il faut que je patiente un certain temps. L'ambiance est déjà plus qu'électrique lorsqu'ils me rejoignent, et la situation dégénère assez rapidement. Comme si de rien n'était, les uns continuent leur discussion et les autres viennent s'occuper de moi. Alors je m'évade de mon corps, je le leur abandonne. Je perds toute conscience de ce qui se passe.

Certaines fois il y a une autre fille. Mes seuls moments de plaisir ont eu lieu avec elle. On doit se donner en spectacle pour le divertissement de ces messieurs, et j'en profite pour me rassasier de cette douceur dont il est hors de question que les hommes nous fassent bénéficier. En dehors de ces instants précieux, mon esprit s'envole vers d'autres sphères, dans un monde où ce que je vis est totalement différent. Sans ces bouffées d'oxygène, je m'enliserais dans l'horreur de ce que ces animaux me font subir, et je ne crois pas que je vivrais très longtemps… Alors je m'enfuis, et les invités peuvent abuser de moi tout à leur guise, seuls ou à plusieurs, avec leur corps ou autre chose. Je ne vois pas tout cela. Et puis je me lasserais vite de ces coqs sans originalité que ne recherchent que leur orgasme personnel.

Et voilà. Je n'avais jamais ressassé toutes ces choses, en tout cas jamais toutes en même temps, jusqu'à aujourd'hui. Mais il faut bien que je m'occupe... Cet enfoiré m'a attachée à son lit et il est parti depuis trois jours. Ces histoires me font oublier que j'ai faim. Et puis maintenant j'y pose un regard neuf : je le hais. Ces heures passées à réfléchir m'ont aidée à ouvrir les yeux, et à me débarrasser de ce sentiment de culpabilité stupide qui m'empoisonne depuis le début. J'ai cru que je ne méritais que ce qu'il me faisait. J'ai cru que j'étais la seule fautive. J'ai même cru que j'en avais besoin ! Mais est-ce que j'ai besoin de me pisser dessus et de mourir de soif ? Est-ce que j'ai besoin d'être emprisonnée comme ça ? Jamais il ne pourra m'en convaincre. C'en est fini de ma crédulité débile, merci à lui ! Si je finis par crever, de froid ou d'autre chose, au moins serai-je un peu moins bête que ces derniers temps.

En tout cas, ça va mieux : j'ai réussi à enlever mon bâillon et mon bandeau, je respire correctement et ne suis plus aveugle. Mais tout ce que je vois autour de moi lui appartient. Chaque détail m'horripile, chaque objet me dégoûte. Et je l'attends. Il va bien finir par revenir. Pour la première fois, je vais le voir, je vais pouvoir mettre un visage sur ma haine. Je pense que ça va m'aider. Que j'aurai plus de facilité à le tuer. De toute façon il faut que je le fasse. C'est la seule manière de me libérer. De lui, des orgies dont je suis la victime, et de son emprise sur moi. Il est seul responsable de l'enfer que je vis. Je suis devenue sa chose, son jouet, mais il ne me touche même plus : il me regarde. Il me prête à d'autres mâles du même genre et ça l'amuse. Ils finissent tous par se lasser, mais comme il refuse absolument de se consacrer à moi, il est toujours obligé de ramener du sang neuf… Il pense peut-être me rendre folle de lui en me privant de ses faveurs... ça oui, il m'a rendue folle… Folle de rage !

Et s'il ne revient pas ? S'il me laisse pourrir là ? Je n'ose même pas imaginer quelle jolie fin je connaîtrais. Heureusement que j'arrive à me déconnecter de la réalité… Oui, une jolie fin, une fin parfaite par rapport à l'existence que j'ai menée, une fin de crasse, de souillure, de douleur… Après l'ultime calvaire, la libération, la paix ! Mais ce n'est pas moi qui doit mourir. Il faut qu'il revienne, je suis en train de devenir complètement timbrée. S'il m'abandonnait définitivement… Non, ça m'étonnerait de sa part. Et puis ici c'est chez lui. Il va bien rentrer un jour ou l'autre, j'en suis sûre.

J'ai froid. Cela doit faire plusieurs heures que je contemple la cheminée pour m'aider à imaginer qu'il fait chaud, et pour ne pas regarder mon corps nu. Je visualise les bûches, les flammes… Je n'ai pas grand chose de beau à penser à part ça. Et je n'ai d'ailleurs rien d'autre à faire. Je ne m'ennuie même pas : je le hais, ça m'occupe.

Je vais le tuer. Je ne sais pas comment, mais je vais le faire.



QUATRIEME PERIODE

C'est l'odeur qui la réveille. Et le bourdonnement des mouches. Ou alors c'est dans sa tête. C'est pour ça qu'elle a mal : ce bruit qui s'amplifie à chaque seconde, et puis la fatigue qui a envahi son corps, douloureuse fatigue… Chaque membre, chaque articulation la fait souffrir. Elle a la sensation que ses bras et ses jambes ont gardé l'empreinte du parquet sur lequel elle est allongée. Elle passe une main sur son crâne, elle a une bosse, elle a dû se cogner. Elle ouvre les yeux et attend que sa vision s'éclaircisse. Peu à peu, le brouillard disparaît et elle regarde autour d'elle.


Il enfonce ses doigts dans mes orbites et appuie sur mes tempes comme pour faire s'éjecter mes yeux. On dirait que ces derniers ont une volonté propre, à sans cesse tenter de se désolidariser de mon corps. Ma gorge arrachée comme d'avoir trop crié provoque une souffrance horrible ; pourtant ma plainte est muette, personne ne peut m'entendre, à part ce mal qui me ronge chaque jour, maître de mon âme à qui il dicte toujours la même loi Laisse-toi faire, laisse-toi faire… Alors j'obéis, je laisse faire, je laisse pénétrer toujours plus profondément cette chose qui me calcine, qui me détruit de l'intérieur. Sa voix résonne en moi, couvre mes pensées, m'envahit, me remplit encore et encore. La place qu'elle prend augmente à chaque seconde, comme un parasite qui se sert de son hôte pour s'agrandir toujours plus. Mon crâne va éclater, il faudra bien que ça explose…

Que se passerait-il si je mourais? Je le sais, ou plutôt il m'a laissé l'apercevoir pour que l'attente paraisse plus longue et insupportable. La mort, c'est un délice de rien, le néant des sensations, l'ultime délivrance : plus de peur, plus de douleur, plus de honte ni de remord… Laisse-toi faire, après c'est si bon ! Mais il ne partira pas, je le sens, il m'a choisie pour développer sa rage pendant que je reste bloquée dans un enfermement nécessaire à la protection des autres. "La protection des autres"… Pourquoi ai-je dit ça ? ça s'appelle l'espoir. C'est vrai. Pourtant je n'ai aucune raison de me soucier des autres. Ils sont loin… Trop loin… Et j'ai mal ! A chaque instant, la douleur. Lancinante. Des fois elle relâche son étreinte, pour revenir encore plus violemment. Et il n'est pas question de l'oublier ! Elle me lie pieds et mains et garde mon esprit bien ancré dans la réalité des souffrances. "Libération !" , crie mon cœur. Obéis est la réponse.


Les rayons de lumière pénètrent dans la pièce et courent sur le sol. C'est comme s'ils le caressaient lui, forme inerte étendue par terre. Il a l'air complètement glacé, pourtant, le soleil ne doit pas parvenir à le réchauffer. Elle s'abîme dans la contemplation de ces tâches qui maculent le parquet, elles ne sont plus vraiment rouges, c'est bizarre. Elle sent qu'elle doit savoir ce que c'est, mais elle n'arrive pas à se souvenir, à mettre de l'ordre dans ses pensées. Elle sent que c'est sa faute s'il y a ça, qu'elle a dû faire quelque chose de mal, mais elle ne voit pas quoi.


Je l'ai tué. Ptit curieux. Je l'ai tué. Il a fini par revenir chez lui. Au bout de quatre jours. J'avais tellement faim… Et tellement froid… Je ne sentais même plus mon corps. Il est arrivé. J'ai essayé de distinguer les choses autour de moi, ça me faisait mal. Mais même avec cette espèce de brouillard devant les yeux, je l'ai vu. Ca m'a choquée. Je n'ai rien dit. De toute façon je n'aurais pas pu. Gorge sèche. Pas de salive. Je n'ai pas ouvert la bouche. Alors il a dû croire que j'avais accepté mon sort. Il était tout fier de moi. Il m'a juste un peu grondée pour les entraves dont je m'étais libérée. Puis il a détaché mes bras, gai comme un pinson. Comme j'étais belle, allongée comme ça ! Ah… Il savait bien qu'il avait bien fait ! Et "ma puce" par-ci, "ma puce" par-là…

Moi je suis restée muette, j'ai cuvé ma haine, qu'il nourrissait à chaque sourire. Il m'a serrée contre lui, en me caressant, doucement. Il a regardé mon visage, et j'ai fermé les yeux, pour ne pas voir les siens, pour ne pas voir cet amour gluant qui en dégoulinait. Il y a vu une invitation. Il m'a embrassée. J'ai reçu comme une décharge électrique, je me suis sentie submergée de dégoût, et je n'ai pas pu faire autrement, je l'ai poussé. Très fort. D'un grand coup avec mes jambes, je l'ai jeté contre la cheminée. Il y a eu un bruit sourd, un craquement bizarre, et puis ça s'est mis à couler. Et ses yeux ! Ils me fixaient, ils m'accusaient, figés dans une sorte d'étonnement idiot. Il a fallu que j'aille les fermer. Et je l'ai frappé, je l'ai frappé encore et encore, en pleurant comme une imbécile. Après je crois que je me suis évanouie.


Ca commence à sentir trop fort. Cela doit faire plusieurs jours qu'elle est endormie là, plusieurs jours dont elle ne garde aucun souvenir. Elle a dû tomber, elle se demande bien pourquoi. Dans un effort considérable, elle se relève à demi puis s'assied, et regarde bêtement ce tas de chair en décomposition. Il a l'air de dormir, ça la rend nauséeuse. D'ailleurs elle a toujours mal à la tête, et son ventre lui aussi est douloureux.. Alors elle se met debout et se dirige vers la salle de bains : elle va boire un peu.


Quand je me suis réveillée, la voix était là. Déjà bien installée dans ma tête. Elle me parlait, pour me culpabiliser devant l'acte que je venais de commettre, pour me montrer toute la réalité de la chose, pour que j'en prenne parfaitement conscience. Elle me disait tout ça, comme à regret, avec pitié. Puis les reproches sont devenus des encouragements, des exhortations pour que je recommence. Je devais les tuer tous, ces porcs qui m'avaient salie, avilie. Ils étaient les outils de ma destruction, et surtout une survivance encombrante d'une période abjecte de ma vie, les témoins de ma déchéance et de l'humiliation que j'avais subie, devant eux, à cause d'eux.

Alors je les ai cherchés, je les ai éliminés un par un. La voix voulait voir, savoir ; elle a vu, elle a su, dix fois, cent fois, peut-être mille, peu importe… Elle contemplait l'homme comme un gourmet mis en appétit, se délectait de tous les détails, mais la patience disparaissait vite. Alors elle trépignait comme une boulimique et la douleur augmentait dans mon crâne, à un point insupportable, jusqu'à ce qu'il soit mort. Mais après chaque meurtre, toujours revenaient les réprimandes. Pour me montrer à quel point j'étais nocive, pour que je comprenne à chaque fois quelle horreur j'avais perpétrée, quel poison je représentais. Des reproches enrobés de gentillesse à outrance… Puis cette incitation à tuer, encore et encore, pour me laver de toutes les souillures du passé…


Quand elle revient dans la chambre, le désordre la frappe. Ce drap poisseux en boule au pied du lit. Et la chaise renversée pas loin. On dirait presque un champ de bataille. Il lui faut de l'ordre, pour la rassurer. C'est comme son bras. Il ne devrait pas être comme ça, son bras. Le corps s'étale devant l'âtre avec une insolence déjà difficile à supporter, mais ce bras qui la nargue, plié selon un angle impossible… Elle va le remettre en position normale. De toute façon, maintenant, il est tout mou.


Je me prends à apprécier cet "être" qui m'habite, même s'il me fait souffrir chaque jour un peu plus. Car il me fournit lui-même l'antidote pour apaiser la douleur. A chaque mort le plaisir est plus grand. Approchant peut-être même l'orgasme... Le mot est un peu excessif, c'est vrai, mais je ne sais plus, c'est tellement fort ! Cette jouissance démesurée qui me submerge me fait oublier, pour un moment délicieux, le supplice que je dois endurer à chaque instant. Chaque victime te rapproche de la fin, me dit-il. On comprend ma frénésie meurtrière. Il faut que ça s'arrête.

Le mal me ronge, toujours ce supplice incessant, cette torture physique et morale, ces élancements dans mes tempes et ces paroles venimeuses… Bientôt ce sera fini. A condition qu'il dise la vérité, bien sûr… De toute façon, je n'ai personne d'autre à croire aujourd'hui, personne d'autre en qui croire, non plus. Et ce ne serait surtout pas en moi-même que je le pourrais, d'ailleurs. Cet esprit si faible qu'il ne résiste jamais, si confus qu'il est incapable de saisir l'évidence… Quelle évidence ? En fait non, il n'y a rien à voir. Pas de mystère à éclaircir. Je souffre, c'est tout. Mais bientôt, je n'aurai plus à penser. Bientôt, je serai en paix. Bientôt. Il n'en reste plus qu'un.


Une nuée de mouches l'enveloppe, elle étouffe, elle n'aurait pas dû s'approcher, obéir à cette maniaquerie idiote. La puanteur la prend à la gorge, il lui faut de l'air. Elle ouvre la double fenêtre et avance sur le balcon. Comme le béton fait mal à ses pieds nus, et qu'elle a encore plus froid, elle retourne dans la pièce, mais elle n'a pas la force de s'éloigner de la vue du paysage rassurant, dehors. A contrecœur, elle regarde ailleurs. Alors elle la voit. Elle est jolie cette tringle à rideaux en bois.


La voix aussi est tout excitée. Comme quelqu'un qui a préparé une surprise depuis longtemps et voit le moment de la faire s'approcher. Cela devrait peut-être m'inquiéter, de ne pas savoir ce qu'il me réserve. En fait, au fond, je crois bien que j'ai peur, il est plutôt sournois… Mais peu m'importe. Je suis comme lui toute exaltée, j'en ai presque le vertige. Oui, il n'y en a plus qu'un seul, et après tout sera fini. Tue ! Oui maître. Que dire d'autre ?

Je l'ai trouvé. J'ai tout de suite su que c'était lui. Je crois qu'il m'a reconnue. Il me regarde. Je lis l'envie dans ses yeux. Il me veut, je le sens. Mon parasite semble tout à fait content, on dirait que celui-là l'enthousiasme plus que les autres. J'ai l'impression que je devrais me méfier, mais je ne sais pas de quoi. En tout cas, la douleur dans mon crâne est moins forte, c'est agréable. C'est vrai que moi aussi je préfère cet homme-là aux précédents. Disons simplement qu'il est beau. Une cible de choix ! C'est étrange d'avoir ce genre de considérations à ce stade-là, mais je n'ai pas pu m'en empêcher.


Cette partie complètement innocente du mobilier l'inspire soudain. Un sourire se dessine sur son visage, il flotte comme une ombre inquiétante. Comme sur un petit nuage, elle ramène la chaise et le drap. Elle a toujours su faire de magnifiques nœuds coulants. Avec le tissu, c'est un peu plus difficile, mais elle y parvient au bout de quelques instants. Elle monte sur le siège, attache le drap à la tringle de bois, puis passe sa tête dans le nœud. Caresse du tissu...


Nous voilà sur son lit, nus, l'un dans l'autre. Non ! Mon parasite a l'air complètement affolé. Fuis ! Sors de là ! Sors ta tête de là ! Tiens, c'est drôle, c'est lui qui perd la raison. Mais je veux lui résister, j'ai pris ma décision, il ne pourra que s'incliner. Et ce que me fait cet homme est tellement doux… Je ne me souviens même pas avoir vécu un jour quelque chose d'approchant.

Il m'embrasse, il m'enlace, il est si tendre ! Je m'étonne de pouvoir prendre goût à ce qu'il me fait : ça m'a l'air trop normal. Mais irrésistible à un point… J'ai capitulé à son corps, après je le tuerai. Dans une parfaite sérénité. Parce que rien ne m'y force. Parce que je l'ai choisi. Et que la douleur ne me tourmente plus. J'ai réussi à m'émanciper. Elle a fui. La voix dans ma tête a disparu. Je suis libre maintenant. Libre de prendre du plaisir, d'en donner, d'échanger enfin.


Perchée sur le siège branlant, elle embrasse la pièce du regard, comme pour faire ses adieux à la scène, calmement, tranquillement. Elle prend son temps. Elle ajuste le nœud autour de son cou. Le contact du tissu l'apaise. Un bien-être délicieux l'envahit. Elle ferme les yeux. Et elle se demande : "Et si je faisais tomber la chaise ?"


Ses mains glissent le long de mes jambes, caresse légère du bout des doigts; elles communient avec mes formes, épousent mes hanches avec une délicatesse apaisante, rassurante; s'attardent sur mon ventre, paresseuses et tendres, pour le reposer des assauts qu'il a subis…

Et leur progression continue. Elles montent vers mes épaules, puis ma nuque, et mon cou… MON COU ! Les doigts se resserrent, s'enfoncent dans la chair, je ne peux pas lutter il est sur moi pas d'issue la pression est trop forte je m'étouffe je bave c'est dégueulasse je me laisse aller rouge orange explosion de couleurs violet noir…
Blanc.